Bovines ou la vraie vie des vaches
Résumé du film
Un paysage de campagne, puis des vaches. Elles se déplacent dans leur pré, parfois leur regard rencontre la caméra. Le quotidien des vaches, c’est manger de l’herbe, arrachée, mastiquée, ruminée. C’est aussi faire face à la pluie et aux orages ; dans ce cas, on s’abrite, on se serre. Quand la saison est venue, les vaches mettent au monde leurs nouveau-nés : c’est la mise bas.
Les veaux se sont multipliés. C’est alors que trois humains viennent se préoccuper de la composition du troupeau. Les vaches ne sont pas des animaux sauvages, elles sont élevées, ici, pour leur viande. Quand des éléments du troupeau partent vers l’abattoir, les mugissements ressemblent à une très triste plainte. La vie n’est pas non plus de tout repos dans les prés ; heureusement, le troupeau est solidaire et vient à la rescousse lorsqu’un membre s’égare.
On fait aussi d’étranges rencontres dans les champs, comme avec un sac plastique, qui déclenche de grandes interrogations. Si l’herbe et le foin sont des nourritures appréciées, c’est peut-être les pommes dont on se régale le plus. Chez les vaches comme chez d’autres espèces, la vie est faite de drames, lorsqu’il s’agit de séparer les veaux de leurs mères par exemple. Devant tant de cruauté, on rumine, et soupire.
Pourquoi ce film a été choisi
Par Nathalie Zimra des Fiches du Cinéma,
Emmanuel Gras, jeune et heureux réalisateur de cette sorte de conte philosophique bovin, filme avec une élégance, une intensité et une tendresse folles ces énormes ruminants aux yeux si doux, frangés de longs cils blancs, dont le regard, aussi las qu’introspectif, semble voir au-delà des apparences et des approximations humaines. Documentaire quasi expérimental, résolument dénué de musique et de commentaire (autre que le bruit, obstiné et éloquent de la mastication des vaches), Bovines s’attache aux pas d’un troupeau, nourri en plein air. Le film fit ainsi le choix stratégique de se tenir loin de toute structure d’élevage industriel et ainsi, peut-être aussi, de rendre hommage à une agriculture raisonnée.
Ce cheptel, solidaire, massif, majestueux, est suivi au plus près et parfois à hauteur de museau, dans le déroulé bucolique de son quotidien : brouter, ruminer, meugler, mettre bas, se réconforter, se réchauffer, faire bloc contre la pluie battante pour attendre, résigné, son arrêt. Dans la splendeur absolue de la nature verdoyante et généreuse, de la terre grasse, ici célébrée, du bocage normand, on les observe, fasciné. Silhouettes pourtant si familières de nos campagnes dont soudain on semble découvrir, par l’intérêt même qui leur est porté, la fascinante singularité, l’évidente sérénité mais aussi la réelle ingéniosité quand l’une d’elles s’évertue, armée de sa langue, à secouer une branche de pommier pour en faire tomber les fruits. Nous sommes projetés, à leur côté, dans une expérience sensorielle qui est celle du monde et dont on éprouve la stupéfiante beauté, rendue par des images d’une grande poésie : la rosée scintillante sur une toile d’araignée, le frémissement de l’herbe sous le vent, le grondement lointain de l’orage, le clapotis de la pluie qui martèle une flaque d’où émergent, globuleux, intrigués, les yeux narquois d’une jeune grenouille.
Autant de plans pour lesquels le réalisateur joue sur l’échelle de valeurs et de tailles et dont l’élégance paraît renvoyer à des toiles de maîtres, entre Corot, pour le naturalisme délicat des paysages, et Brueghel pour la peinture si sensible de la réalité paysanne. Or, cette réalité paysanne est celle qui, au sein de cette paix, fait intervenir la mort. Car dans ce décor bucolique se joue une tragédie : les vaches ne disposent pas de leur destin et ne sont qu’un élément de la chaîne alimentaire humaine, comme le rappelle obstinément, tout au long de ce beau tête-à-tête, l’étiquette numérotée qui orne leurs oreilles. Lorsqu’un tracteur arrive à la fin pour hisser les veaux sur une remorque, les vaches, restées au pré et séparées de leurs petits, accompagnent d’un meuglement, sidérant, à la fois plaintif, consolateur et prémonitoire, cet arrachement définitif qui nous contraint, nous, humains, à nous pencher et à nous interroger sur notre propre rapport au monde et à la vie, dans sa bouleversante absurdité.
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